jeudi 1 mars 2012

CHAMPS D'ENFANCE

4x6-Les champs de blé d'Inde


Les champs de maïs de la Montérégie, du Suroît, c'est mon enfance et mon adolescence. Ils exercent encore sur moi une profonde attirance. Leur odeur est un puissant déclencheur de souvenirs oubliés, enfouis.


LE REFUGE




Je crois qu’il faisait froid.

Je veux dire, même pour ce temps de l’année. Mais j’avais bu jusqu’aux petites heures plus qu’il n’en fallait pour m’insensibiliser à tout. Même aux morsures du vent nocturne qui accumulait sa hargne en rasant les champs enneigés et les étangs glacés entourant le village. Plutôt des flaques que des étangs, gelées dès novembre, où j’allais glisser enfant, et m’étendre pour observer les jeux de couleurs que les ruissellements teintés des grains de maïs avaient peints à la surface. Je me rappelle encore d’une odeur surie que je pouvais goûter le nez collé sur la glace, et qui me fascinait comme si elle racontait les souvenirs d’un été trop vite passé.

Je n’avais pas envie de rentrer. J’avais vingt et quelques années, et j’étais temporairement revenu habiter chez ma mère, au bout de la dernière rue au sud de Beauharnois. Près de là, de l’autre côté de la rue Beauce, juste avant les champs, il y avait le clos d’bois. « Veilleux, matériaux de construction ».

Il me parvint une odeur de pin, et la mémoire de mon corps répondit. Les hautes piles de madriers dans la cour engendraient sous le blizzard des bancs de neige gigantesques en formes de dunes qui rendaient inutile la haute clôture Frost. Je gravis plus agilement que je ne l’avais imaginé un des grands croissants jauni par la lumière d’un lampadaire, et sautai dans un autre monde.

Je l’avais oublié, mais cet étrange paysage de montagnes de planches, de canyons ténébreux, de dédales de bois et de glace avait aussi été un des territoires de mon enfance. L’hiver, que je ne haïssais alors pas tout à fait, avait ceci de bon qu’il raccourcissait le jour, mettant à la portée de mes jeux la nuit mystérieuse qui m’était autrement interdite.

Les vagues figées des bancs de neige appuyés contre les empilages de deux par quatre offraient toujours derrière elles une cachette à l’abri du vent. Je m’abritai dans l’une d’elles.

Le parfum du bois récemment coupé y était concentré. Relevant la tête vers le ciel noir comme un canon de fusil, je pouvais voir les grains de neige poussés sur la dune dépasser la crête, tourbillonner un peu, puis s’y attacher ou retomber fatigués sur mon visage.

Au bout de quelques minutes, les traces de mon passage s’effacèrent et l’ouverture sur la nuit disparut presque. Et dans le ventre de l’hiver fut libérée une mémoire depuis longtemps enfermée...

Ici, dans mon trou de hobbit, dans mon terrier, dans ma cachette, même au cœur des tempêtes, j’avais été en sécurité. Loin des mots méchants des plus vieux à l’école. Loin des monstres qui se cachaient dans les placards de ma chambre. Loin des querelles et des engueulades, et des portes claquées.

Loin des sanglots de ma mère, qui me faisaient mal au ventre.

Ici, j’avais survécu.
__________________

Peace


15 commentaires:

Renata a dit...

Quel texte.....

Les champs de blé d'inde de M. Gendron.
Le bois au loin.
En effet, que de souvenirs d'enfance...
100.

Nathalie C. a dit...

C'est "notre" champs ça!
Beaux souvenirs!
Ton texte.... j'ai pas de mots.

Anonyme a dit...

Jean-Louis, Quand. Une expo +tableaux + textes ?

Pierre Filion

120$

Marie-Claude Courteau a dit...

Que de souvenirs dans ces champs...
Merci!

Anonyme a dit...

Texte superbe, paysage correspondant.
Nous, un brin voyeur, somme heureux de vous connaître un brin mieux.
Les Courteau, ce tableau vous appartient et c'est pourquoi je vous l'offre
Louis 150.00
Maintenant, vous allez devoir vous le partager

Jean-Louis Courteau a dit...

Bin là Louis!
Je peux pas te laisser payer pour kkchose qui resterait à mes soeurs!
Je devrais le retirer de l'encan et leur donner c'est tout!...

Anonyme a dit...

Jean-Louis, ce matin, grosse bouffée de nostalgie... J'attendais avec impatience le moment où tu capterais sur toile ma très chère rue ou ses environs alors tu devras recréer d'autres scènes de notre enfance, puisque celle-ci sera pour tes soeurs. :^)Tu fais mon Bonheur et ma journée! Merci infiniment... La p'tite Julie

Renata a dit...

Bin oui... une "expo-tablo-texto", c'est pour quand hein ? c'est pour quand ??
Un p'tit lancement "Plume et Pinceau"...

Marina Kowalsky a dit...

Ouan une expo "Plume et Pinceau" c'est bon ça. Et pourquoi pas un bouquin?

Anonyme a dit...

Jean-Louis, tu l'as rendu public et moi j'ai misé dessus. Alors si j'ai le privilège de l'avoir, je serais très heureux.
Une fois mien, j'ai le droit d'en faire ce qu'il me plais.
hihihihihi
Louis

Jean-Louis Courteau a dit...

Bin Louis; je m'incline!

Renata a dit...

Ahhh suis arrivée trop tard...
Merci Louis pour votre grande générosité, mais la toile est à vous. Nous, on a les souvenirs ancrés dans nos têtes et nos coeurs, et ça, c'est plus précieux que tout autre chose.

Marie-Claude Courteau a dit...

Louis, je suis arrivée trop tard aussi. Je seconde Renée. Tu l'as grandement mérité, ne serait-ce que pour ton amitié et ton appréciation pour Jean-Louis. Nous, les Courteau, ainsi que Julie, avons le film de notre enfance bien gravé dans nos souvenirs de cette merveilleuse petite rue Gendron à Beauharnois.

Tu as entre les mains une bonne parcelle de nos vies! Bienvenue dans la famille!

Nathalie C. a dit...

Trop tard moi aussi!
Et mes soeurs ont tellement bien exprimé ma pensée, que je n'ai rien à rajouter d'autre que: profites-en bien de ce petit trésor.
Cette pochade est remplie d'amour et de souvenirs fantastiques; elle t'apportera du bonheur!

Nathalie C. a dit...

PS: Détail: J'ai oublié de dire que je m'adressais à toi, Louis!