jeudi 15 mars 2012

TREMBLE





Ils sont une quinzaine à peu près.
Le temps est gris, ils sont tous du même brun.
La plupart sont des trembles, mais je pense qu'il y a quelques érables.On s'en fout. Là pour le moment, dans leur encadrement de pin jauni et leur marie-louise de vinyle blanc, ils sont tous égaux. Une quinzaine d'arbres se détachant d'un fond triste et gris comme un tableau de Lemieux.
Je n'aurais jamais cru qu'il y avait tant de branches...Une quinzaine d'arbres seulement, pas une forêt, et pourtant je pense que si je mettais bout-à-bout tous les troncs, puis leurs branches, puis les branches des branches, puis les rameaux, puis les ramilles, puis les tiges des feuilles restées accrochées, je pourrais sortir du pays.
Il y a des kilomètres dans une fenêtre, qui me regardent.
Des fois, mes arbres, ils ont l'air d'un paquet de vieilles actrices de théatre garnies d'apparâts en toc, admirant dans leurs doigts tendus vers le ciel des bagues fausses célébrant leur union à la médiocrité et l'oubli.
Mais ils ne bougent jamais. Et quand à chaque quatre heures je ravalle la douleur un peu et m'assoupis, ils sont exactement au même endroit à mon réveil.
Il arrive que du coin de l'oeil pourtant, je capte un mouvement quand depuis un certain temps je fixe le plafond. Une mésange vient d'entrer dans le tableau. Elle se pose sur une des zillions de branches et s'affaire à ouvrir une graine de tournesol qu'elle a trouvée dans un autre monde.
Ou alors c'est une corneille qui arrive et se pose avec le moins d'élégance possible, puis se tortille et se déplace comme une mauvaise esquisse au fusain, et lâche quelques cris insatisfaits avant de repartir aller broyer du noir ailleurs.
Ma fenêtre est un portrait de famille d'un bosquet de trembles immobiles.
Et pour eux je suis pareil.
Je tremble immobile, douleur entre deux songes narcotiques.

______

Mon stylo n'écrit pas la tête en bas.
Mais je suis couché sur le dos. Alors il faut qu'il se repose de temps en temps, comme Michel-Ange de son plafond, comme moi de ma douleur.
Il est cinq heures du matin. Dans ma fenêtre, le bosquet de trembles allonge ses branches de celles du rêve et fouille le ciel noir aveuglément en quête d'espoir comme je fouille ma table de chevet pour mes hydromorphes. (Ça me fait toujours penser au film The Abyss, ce mot-là...)
Je suis gêné de parler de ma douleur. C'est pour ça peut-être que je le fais la nuit.
Ai-je peur qu'au fond ma douleur ne sois pas assez grande et belle et noble pour en parler? Peur qu'on me dise ''Ça va l'jeunôt, c'est rien, d'autres souffrent bien plus, ta gueule...'' Ou qu'on rit de moi...
Et pourtant elle emplit mon ciel ma douleur. Elle me fait peur. Elle est comme des lunettes à clous, des bottes de lames, elle est le cri retentissant de mon absence au miroir, l'injustice du coup de feu dans les ailes d'un canard, le serrement à vomir quand on réalise qu'on est pas nécéssaire...
Moi aussi je croyais avant que la douleur du corps n'était pas noble. Qu'elle était le cinéma américain des douleurs, celui qu'on snobe.
Mais non.
Le mal de l'âme, le mal de vivre, ne sont réels que parce qu'ils logent au confortable hotel du corps.
Avoir mal au corps, c'est ne même pas pouvoir dire qu'on est bleu trop pâle, ou trop foncé, ou vert, ou rouge, c'est ne même pas pouvoir lever sa palette.
Pas d'envolées dramatiques quand l'encrier est cassé, pas de crescendo triomphal quand la corde est brisée. Pas de révolution artistique sans toile.
Pas d'âme sans corps.
Pas d'âme sans corps, j'ai dit.
Pas de conscience sans mémoire, pas de mémoire sans corps.
J'ai mal partout, beaucoup, et j'ai plus peur de ne plus vivre que de mourir.

Ma blonde a entendu du bruit et viens voir.
Son regard est empli de tendresse. Je le lui retourne. Elle est belle.
La compassion, c'est dire ''Je te vois, je t'entend'', sans mots.

Dehors, les trembles aussi sont sans mots, et enfin, l'aube pointe.

_______

Une autre nuit.
La douleur n'est pas disparue.
Mais elle a diminué au point que je commence à questionner le coût de son aprivoisement.
Les longues heures de torpeur sans sommeil, les maux de tête, mais surtout ces rêves gluants semés de faux souvenirs, si réels qu'ils sentent le béton humide quand enfin mes yeux se ferment, chaque nuit plus récalcitrants.
Souvent il faut faire succéder aux cauchemars plusieurs heures de lecture pour qu'enfin l'esprit puisse s'aiguiller sur des rails moins lugubres quand le livre tombe.
Je voyage dans les Laurentides où des cartes géologiques me parlent de lacs aux lits d'anciens calcaires où je trouve en pensée des grottes sous-marines inexplorées.
En Italie, dans les hauts sommets, je grimpe comme un vieux chasseur et meurt avec lui sous le poids d'un papillon.
En Angleterre noire et pluvieuse, je résous des mystères immédiatement recachés sous les conventions.
Je suis orphelin en Algérie où le goût des dates est toujours plus sucré que leur histoire.
Et si ces voyages ne m'enlèvent pas completement par leurs paysages envoûtants le besoin de faire taire mon détestable compagnon de cabine quand il se manifeste trop bruyamment, ils en assourdissent l'incessant babillage...
L'aube se pointe encore, et si les trembles n'ont toujours pas bougé, pas plus que moi sur mes oreillers, je comprend maintenant que pour qui voyage dans le même train, personne ne se déplace...
______

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Jean Louis, Quel texte fantastique. Ne craint point, ta douleur est bien réelle et tu n'as pas de honte à avoir è l'avoir et à l'exprimer.
On as tous une vision differente du monde, vu de dedans comme vu du dehors.
Au plaisir de te voir, de te lire
Louis

Anonyme a dit...

Quel beau texte! Tout mène à la création...comme tu le sais et dans ton cas , malheureusement pour toi en ce moment, la douleur te fait écrire un autre...maudit bon texte!
Guéris vite!

S&M

Jean-Louis Courteau a dit...

Merci!Z'êtes fins!