vendredi 23 novembre 2012

DE PERDRIX ET DE MÉMOIRE...

4x6-Trail de p'tite chasse


Une autre trail, d'un peu plus tôt cet automne. Ces beaux petits chemins tranquiles sont la vraie raison d'aller à la petite chasse. Quoique quelques poitrines de perdrix pochées au sauterne: çà l'fait grave!
Je n'ai pas beaucoup le temps d'écrire aujourd'hui.
Alors je vous refile un vieux texte, puisqu'il y est aussi question de perdrix...
Et de mémoire. Et d'amour.
Vous me direz ce que vous y lisez?
Merci.
Peace.
__________

Quelque chose doit mourir




Je l’avais reconnu tout de suite. Quoique j’aie toujours pensé que c’était une femme. Mais j’imagine que ça n’a pas grande importance...

Je chassais depuis deux ou trois heures. Je ne sais plus trop. J’aime bien marcher dans les bois en octobre. Parce que c’est beaucoup plus une promenade que de la chasse! J’ai beau trainer mon vieux calibre douze; je ne tire presque plus. Il y a quelque chose de magique dans l’air, quand la perdrix surgit des buissons avec fracas et monte dans les rayons de soleil matinal comme si la poussière dorée dans l’air coagulait en battements d’ailes. Mais je l’apporte toujours, mon vieux tromblon, parce que je suis certain qu’il m’en voudrait de le laisser dans l’ombre du réduit sous l’escalier. Même si on ne chasse pas vraiment. Comme moi, il n’a plus rien à prouver, et se contente volontiers d’une gibecière emplie de souvenirs.

L’homme était assis sur un gros rocher en bordure du sentier. Curieux, je ne me rappelais absolument pas de ce rocher, et je connais pourtant ce chemin mieux que mon salon! Il portait une redingote noire charbon au col relevé, bien qu’il ne fasse pas froid, par-dessus un gilet à capuchon en laine polaire couleur nuit. Des jeans noirs fatigués et des bottes longues et pointues impeccables malgré la terre battue du chemin. Les cheveux aux épaules un peu plus poivre que sel, une barbe de quatre jours à la mode, un long nez anguleux qui lui donnait un profil aquilin à la Lee Van Cleef dans les vieux westerns. Le dos arqué, les coudes sur les genoux, il se roulait une clope avec un air concentré.

- Cigarette?, dit-il sans se détourner, mais en se déplaçant un peu pour me faire une place.

- Pourquoi pas!, répondis-je.

J’appuyai mon fusil sur le hêtre, à côté de la grande faux de métal noir. Il m’indiqua du menton la blague et les papiers, posés par terre devant lui, là où je notai silencieusement avec une surprise amusée l’absence de son ombre.

La mémoire de certains gestes, on dirait, repose dans les objets même qui les appellent. Même après si longtemps, le papier roula entre mes doigts comme si je n’avais pas cessé de fumer depuis plus de quarante ans.

À la première longue et lente bouffée, je reconnus ce délicieux étourdissement que je m’étais depuis si longtemps interdit, et cet apaisement en dedans comme si tout reprenait sa place.

- C’est bon..., soufflai-je avec un oiseau de fumée bleue.

- Yes mon ami! C’est bon.

- Je croyais que vous étiez une femme...

- Mmmh... Ils le croient presque tous. Je pense que c’est à cause d’un client que j’ai eu il y a longtemps, en Italie. Un artiste. Il m’avait demandé de poser pour lui avec une espèce de djellaba trop grande, et pour je ne sais trop quelle raison, ça m’est resté. À moins que ce soit la faute d’un poète...Ils voient des femmes partout! Sauf pour Dieu. S’ils savaient, d’ailleurs! Mais tu peux me tutoyer, tu sais...

J’étais plutôt calme, je pense, mais je sentais sourdre en moi comme le sang d’une blessure réveillée une multitude d’interrogations auxquelles je croyais avoir répondu au fil des années, ou que j’avais abandonnées à force de ne pas y arriver. C’est drôle comme l’imminence de la fin vous fait toujours revoir les débuts! Une question en particulier dans le flot se battait pour le fil d’arrivée, mais n’y arrivait pas.

- C’est comment de faire ce que tu fais, chaque jour?, lui demandai-je, pour gagner un brin de temps.

Il eut un petit sourire mi-figue mi-raisin, regardant toujours par terre devant lui, intéressé semblait-il par la poussée subite d’une amanite.

- Ça dépend des jours. Ça dépend du client, en fait. Y’en a que c’est un réel plaisir de rencontrer, vraiment! La semaine passée encore, je me suis tapé un trafiquant d’armes. Je l’attendais depuis un bon bout, celui-là! J’ai pas pris de vacances pendant des années, juste à cause de lui. Mais c’est pas toujours le cas. Des fois, c’est autre chose. Des fois, c’est dur...

- J’imagine, oui.

Souvent, j’ai l’impression que ma mémoire est un vieil hôtel dans un village de moins en moins habité. Quelque part, dans une pièce vide, comme une salle de cinéma démodée, un film repasse pour la millionième fois. Je suis assis au milieu de la dernière rangée, seul, incapable de me détourner des images qui défilent. Incapable de fermer les yeux. Incapable quand j’y entre de ressortir avant la fin.

C’est le mois d’août. Un mois d’août comme il se doit, qui porte bien son nom dans la caresse chaude de son soleil qui a perdu l’agressivité de juillet, mais qui ne craint pas encore les frissons des nuits de septembre.

Une petite fille aux cheveux rouges rit aux éclats en courant vers le ballon que je lui ai lancé, et qui saute et bondit et roule.

- Mais il le faut.

Sa voix me fit sursauter.

Sur l’écran, le ballon traverse la rue. Le cri de la petite et le mien sont noyés dans celui des freins écrasés d’une voiture surgie de nulle-part. J’ai dans le ventre un nœud de douleur qui ne desserrera plus jamais. Une cassure soudaine que le temps ne réparera pas. Une nouvelle définition de moi, un autoportrait en noir et noir, une déraison de vivre.

- Elle a eu mal?, lui demandai-je faiblement, la voix cassée.

- Non, répondit-il immédiatement, sans hésiter. Et je le crus, bien sûr, et fut soulagé.

- ...Merci.

Van Cleef se retourna et m’observa pour la première fois.

- On ne me dit pas ça souvent. Même ceux qui croient souhaiter ma venue.

À mon tour de sourire.

- Je vais la revoir maintenant?

- C’est compliqué...

- J’aurais donné ma vie pour qu’elle vive.

À ce moment-là, on entendit un petit bruit de clochette. Ce qui me fit réaliser à quel point la nature tout autour était devenue silencieuse.

- Excuses-moi un moment, fit l’homme en ouvrant son manteau. Faut que j’le prenne.

Il retira d’un revers un parchemin qu’il déroula à bout de bras devant lui, et l’examina les sourcils froncés.

- Hé merde...c’est pas vrai!

Il rangea le manuscrit dans sa poche intérieure.

- Un génocide en Afrique. Encore. Pas joli. Faut qu’j’y aille.

Écoutes...Je t’aime bien. Pour la petite, il est peut-être toujours temps. Mais tu devras donner plus que ta vie...



Alors il se pencha sur moi et murmura longtemps à mon oreille, et je me mis à pleurer doucement. De joie.

Puis l’homme vêtu de noir se redressa en saisissant la grande faux, et en un élan gracieux virevolta sur lui-même tel un derviche tourneur en fauchant l’air au-dessus de moi et disparut.

_________

Octobre est superbe et dans l’heure immobile scintille la poussière paresseuse des matins tranquilles.

Dans l’allée de gravier qui serpente à travers le petit bois derrière le pavillon central, je marche lentement au bras d’une belle jeune femme aux longs cheveux rouges. Elle vient à tous les dimanches me voir. Du moins c’est ce qu’elle prétend! Je ne sais pas pourquoi. Elle est si jeune et belle et si gentille; je pense bien que je m’en souviendrais! Son parfum sent sucré. Elle m’a apporté des cigarettes. J’aime bien fumer des cigarettes.

Devant nous, un oiseau dont je ne me rappelle pas le nom s’envole des buissons bruyamment et la fait sursauter.

Derrière lui, la poussière dorée tourbillonne. C’est joli je trouve. Ça me fait sourire...
 



10 commentaires:

Anonyme a dit...

J'achète le texte.C'est combien?
JT

Nathalie C. a dit...

WOW!
(Je cherche un autre mot que "wow" depuis dix minutes, j'sais pas quoi dire d'autre!)

Ça ferait un excellent épisode d'une série tv de short stories.

Une belle histoire d'amour.
Quelle poésie!
-"Quelque part, dans une pièce vide, comme une salle de cinéma démodée...."
Juste: WOW!

Jean-Louis Courteau a dit...

MERCI !!!!

Michel a dit...

Oui c'est vrai c'est vraiment très joli ce texte. Tellement que j'aimerais bien avoir ce sentier pour me le rappeler. 120 $

Michel F.

Nathalie C. a dit...

Ah, pis moi-si: 125$

Anonyme a dit...

Quel beau texte, quel belle réalité
La mort, , la faucheuse, le spectre etc
Comme sur la "trail" à perdrix la vie, la mort; elles se côtoie, si prêt l'une de l'autre, si différente mais aussi tellement comparable
Les deux, on les vis
Des deux, on en souffre
La vie comme la mort fait parti de notre quotidien, pour le meilleur.
Savoir vivre, connaitre la mort
Heureux de vivre sans avoir peur de partir, avec la mort.
La vie est belle, la mort peut l'être.
Bonne journée à tous, elle vous regarde, vous observe, vous accompagne; la vie comme la mort
Alors vivez, avant de mourir

Louis

Renata a dit...

Oh my God....
Bien dit Louis...oui, vivez, avant de mourir.
Il y a des morts qui sont encore tellement présents...
Il y a des vivants qui sont tellement partis...
Par amour il a donné sa vie sans mourir, il a donné son coeur...
Dans l'oubli, dans l'Alzheimer ...

Nathalie C. a dit...

Wow Renée!!

Jean-Louis Courteau a dit...

Nathalie it iz!
:^)

Nathalie C. a dit...

YESSS!!!!
MERCI!!!!