mardi 5 mars 2013

PHIL

Un petit texte.
Une conversation avec un chum aujourd'hui, sur la musique et les musiciens, me l'a remémoré.
Une conversation sur les talents exceptionnels, et sur l'humilité des grands.

Mon neveu Philippe et mon vieil ami Phil sont des grands. Que j'aime profondément...



                        

''Phil avait 65 ans, cette journée-là. Et nous avions décidé de fêter çà. C’est que Phil est un être exceptionnel.

Il est né en Abitibi, dans une petite maison isolée de tout sauf du froid, où il fallait, l’hiver, descendre en bas casser la glace qui se formait sur l’eau de la chaudière et mettre une bûche ou deux dans le poêle. Puis on remontait à l’étage au lit à la course et si le sommeil ne revenait pas assez vite, on comptait les étoiles vues par la fenêtre et entre quelques planches du mur.

Un jour de ses 14 ans, une engueulade avec le père. Phil n’admet pas l’injustice et l’abus de pouvoir, et ne l’admettra jamais. Il s’enfuit, saute sur un train, et en redescend les mains gelées à Chibougamau dans un camp de bucheron. Il y restera quatre ans. Quatre longues années à bûcher, à apprendre le bois dont l’amour ne le quittera plus et le poussera à se faire ébéniste un jour. Et à apprendre aussi le cœur des hommes, à la dure, sous la guidance de Médor qui parle aux loups. Médor qui mériterait un roman à lui seul, géant paisible et bon aux airs du grand Burt Lancaster.

Mais un jour, Médor part rejoindre en esprit et pour l’éternité sa Gaspésie bien-aimée, tué par une meute de loups dont il aura à la hache amaigri les rangs de trois grands mâles. Il emportera aussi avec lui un peu du cœur de Phil devenu jeune adulte, qui racontera maintes fois l’histoire, quand on la lui demandera tard la nuit près d’un feu de camp, et que l’alcool aura desserré le nœud des mémoires...

C’est à son ébénisterie que je l’ai connu, mon vieil ami, bien des années plus tard, après qu’il ait tenté sa chance à travailler en ville et se soit encore confronté à l’iniquité. Je dis mon vieil ami, dans le sens où c’est ce qu’il allait devenir pour moi, pas pour son âge. De toute façon, il n’a jamais perdu le corps mince et musclé de ses vingt ans, et l’adolescence émerveillée de son esprit. Mais autant d’expérience de vie en a fait un sage, et nous sommes toujours nombreux à nous abreuver à sa source.

Phil aime le blues. Rien de surprenant là-dedans. Le blues, c’est la mémoire en musique. Pour la petite fête que nous lui avions organisée, il y avait bien sûr un band. Et j’avais demandé à un autre Philippe, mon neveu, de venir faire un tour, et voudrait-il jouer une toune ou deux de blues pour mon ami, à qui çà ferait tellement plaisir?

Philippe est tout jeune. De corps. Mais quand il joue du blues, c’est comme si la douleur des hommes depuis l’aube des temps coulait sur les joues électriques de sa guitare, se mêlant à celle de ses propres blessures, profondes et noires comme un passé sans Médor...

‘’Mon oncle, pourquoi on envoie des fusées sur la lune même si y’a des gens qui n’ont rien à manger?’’ Qu’est-ce qu’on répond à cette phrase-là quand c’est un enfant de 7 ou 8 ans qui vous l’envoie sans avertissement, alors que vous vous promenez avec lui dans les champs par un après-midi ensoleillé comme une page de Pagnol? Les deux Phil ont goûté trop vite, trop jeunes, l’amertume de l’injustice.

Il est d’accord. Il viendra jouer. Juste une toune. Philippe n’est pas un show man, il est presque timide, modeste comme ceux qui pourraient ne pas l’être. Je suis content, et craintif...Rien n’est sûr, même avec sa promesse. Encore faudra-t-il que ses fantômes ne le cassent pas avant, à coups d’alcool. Le bluesman a trouvé depuis longtemps déjà, malgré son jeune âge, ce médicament à sa douleur.

Le soir de la fête arrive. Phil est heureux, les rires fusent, le vin coule. Le band s’installe et joue quelques pièces. Philippe monte sur l’estrade, sa guitare à la main, se la passe au cou comme une corde et ma gorge se serre...



Puis le pic tombe, porté par une main comme lasse, qui tombe elle aussi. Et une corde est accrochée au passage et son cri emplit la salle comme un des loups de Médor. Puis un autre et un autre et un autre, et cinq loups lancent dans la pièce une plainte claire et glacée dans un air qui fige soudain. Et les voix se taisent et les pas s’arrêtent et les yeux se tournent tous vers le jeune homme sur la scène qui la tête baissée comme s’il cherchait le pardon vient d’ouvrir une blessure hurlante.

Phil mon vieil ami retourne sa chaise en l’approchant un peu et se rassoit, les bras croisés sur le dossier, devant l’estrade, comme un fidèle au prie-Dieu.

Le pic retouche une corde et la plainte vole en acier liquide et se love autour de lui. Il est captif.

Une volée de notes. Le pic les touche à peine mais elles s’ouvrent et se lancent en l’air en fragments cassants comme une écume électrique et maintenant tous dans la salle sont éclaboussés. Tous regardent le bluesman comme s’il leur accordait la vue après la nuit, et les lèvres tremblent et ceux qui ne le sont pas déjà glissent doucement assis par terre, leurs jambes maintenant trop faibles pour supporter une telle charge.

Chaque note est un éclair, un coup de lame acérée ouvrant les mémoires à vif, dénudant les âmes, exposant les douleurs contenues depuis trop de temps, les cages thoraciques s’ouvrent et les cœurs s’échappent enfin de prisons de chairs cicatrisées.

Phil pleure à sanglots sans retenue et Philippe est debout devant lui, descendu du stage, la tête toujours baissée, les mains comme des papillons fous, des prêtresses vaudous dessinant en sons des arabesques aériennes pour une messe à la libération des âmes.

Une note vole et les planches de la vieille maison en Abitibi craquent sous l’hiver. La main monte sur le manche et en libère cinquante autres, et le train roule dans la nuit glacée et Phil grimace. Les doigts redescendent et égrènent les basses et les grands arbres tombent. Puis ils retournent en haut et pianotent le rire de Médor et recourent en bas et louangent son combat. Chaque fois que le pic effleure une corde, c’est une seconde, une semaine, une année qui jaillissent et crient ou murmurent, libérées.

Maintenant, ce sont les deux Phil qui pleurent, avec la mère de l’un et les amis de l’autre, et le reste du band, et moi aussi.

Parce que plus que des douleurs et des joies d’une existence, c’est de la vie elle-même que la guitare parle. De tous les accords et discordes, les dièses et les bémols dont elle se compose, mais surtout de cet immense désir de la goûter pleinement, de n’en rien manquer, de guérir, de monter en elle et de se surpasser, de la courtiser sans cesse parce qu’elle est belle plus que tout. Je regarde le musicien, mon ami qui boit sa musique mêlée de larmes qui transcendent la peine ou la joie, le visage de tous ceux qui les regardent aussi médusés, et je suis empli de cette beauté que les hommes montrent quand ils sont généreux...''

5 commentaires:

Anonyme a dit...

Quel beau texte, quel belle expérience de vie....
Et il n'y as que les grands qui puissent écrire si bien à propos des grands...décrivant l'essence même du moment.
Louis.

Anonyme a dit...

Johnnie Courteau

Johnnie Courteau of de mountain
Johnnie Courteau of de hill
Dat was de boy can shoot de gun
Dat was de boy can jomp an' run
An'it's not very often you ketch heem still
Johnnie Courteau !

Ax dem along de reever
Ax dem along de shore
Who was de mos'bes'fightin'man
From Managance to Shaw-in-I-gan?
De place we're de great beeg rapide roar,
Johnnie Courteau !

Sam'tíng on ev'ry shaintee
Up on de Mekinac
Who was the man man walk de log,
W'en w'ole of de reever she's black wit'fog
An'carry de beeges'load on hees back?
Johnnie Courteau !

On de rapide you want to see heem
If de raf'she 's swingin'roun'
An'he 's yellin' 'Hooray Bateese! good
man!'
W'y de oar come double on hees han'
W'en he's makin' dat raf'go flyin'down
Johnnie Courteau !

An' Tête de Boule chief can tole you
De feller w'at save hees life
W'en beeg moose on de head, sapree!
An'den run off wit' hees Injun wife?
Johnnie Courteau !

An' he only have pike pole wit'heem
On Lac a la Tortue
W'en he meet de bear comin' down the hill
But de bear very soon is get hees fill!
An' he sole dat skin for ten dollar too,
Johnnie Courteau !


Oh he never was scare for not'ing
Lak de ole coureurs de bois,
But w'en he's getting'hees winter pay
De bes't'ing sure is kip out de way
For he's goin'right off on de Hip Hooraw!
Johnnie Courteau !

Den pullin'hees sash aroun'heem
He dance on hees botte sauvage
An'shout 'All aboar' if you want to fight!'
Wall! You never can see de finer sight
W'en he go lak dat on de w'ole village!
Johnnie Courteau !

But Johnnie Courteau get marry
On Philomene Beaurepaire
She's nice leetle girl was run de school
On w'at you call Parish of Sainte Ursule
An' he see her off on de pique-nique dere
Johnnie Courteau !

Den somet'ing come over Johnnie
W'en he marry on Philomene
For he stay on de farm de w'ole year roun'
He chop de wood an' he plough de ground'
An' he's quieter feller was never seen,
Johnnie Courteau !

An'ev'ry wan feel astonish
From La Tuque to Shaw-in-i-gan
W'en dey hear de news was goin' aroun'
Along on de reever up an' down
How wan leetle woman boss dat beeg man
Johnnie Courteau !


He never come out on de evening
No matter de hard we try
'Cos he stay on de kitchen an' sing hees song

'A la claire fontaine
M'en allant promener
J'ai trouvé l'eau si belle
Que je m'y suis baigner
Lui y'a longtemps que je t'aime
Jamais je ne t'oublierai.'

Rockin' de cradle de w'ole night long
Till baby's asleep on de sweet bimeby
Johnnie Courteau !


An'de house, wall! I wish you see it
De place she's so nice an' clean
Mus'wipe your foot on de outside door,
You're dead man sure if you spit on de floor,
An' he never say not'ing on Philomene
Johnnie Courteau !


An' Philomene watch de monee
An' put it all safe away
On very good place; I dunno w'ere
But anyhow nobody see it dere
So she's buyin' new farm de noder day
MADAME Courteau !
William Henry Drummond
Submitted: Monday, April 12, 2010

Anonyme a dit...

Je capote ben red.
Pu rien a dire

à voir à l'oeil a dit...

Ouhin,

Superbe tableau de mots bien rassemblés. Je pense que tu décris à la perfection ce que c'est que d'exprimer un "bleu de mémoire"

Tim

Jean-Louis Courteau a dit...

''Bleu de mémoire''........Cool!!!

Merci tout l'monde!
Et SVP: signez vos commentaires!

I have an old edition of Johnny Courteau.
Who are you, poetry lover?!