lundi 15 avril 2013

EN ESTE MOMENTO...




CARPE DIEM



La route devant moi est droite comme une promesse. Il fait très chaud, humide, le ciel est bleu mur à mur. Mes bottes font le métronome sur l’asphalte, la chemise me colle dans le dos, mes palmes accrochées à mon packsack se balancent avec mes pas.

De temps en temps, je regarde dans le bas-côté, cherchant des lézards parmi les pierres, les buissons fleuris, les détritus. Mais je regarde surtout en avant, loin là-bas, où convergent les lignes blanches et les rangées de poteaux, vers le Belize.

Je respire profondément, librement, et autant que de l’air, c’est d’un bonheur tranquille et complet que je me remplis.

Je suis au Mexique pour deux semaines. Je viens de réaliser, la semaine passée, un grand rêve. J’ai suivi une formation en plongée-spéléo, dans le vaste labyrinthe aquifère du Yucatan. J’ai la tête pleine d’images fantastiques, de la blancheur opaline de la calcite, du bleu irréel des abysses souterrains. J’ai pleuré souvent, émerveillé, et les larmes reviennent encore facilement quand je me replonge en pensée dans ce monde si lumineux si on ouvre son écrin de ténèbres...

Et pourtant, là maintenant, ici sur la carretera 307, avec presque rien sur moi, je suis heureux comme peu de fois je l’ai été.

Je marche depuis Akumal vers Xcacel, un petit sanctuaire de tortues méconnu, et qui conserve sa beauté probablement parce qu’il l’est!
Plage magnifique, presque déserte tout le temps, un petit cenote dans la jungle, qui débouche apparemment en mer, un paradis discret.

Mais pourtant, ce n’est pas pour ça que je me sens si bien.

Ça n’est ni d’où je viens, ni où je vais.
Ni cette extraordinaire semaine passée, ni celle qui vient, prometteuse.

Je me sens libre.

Je n’ai rien sur moi. Même pas mes papiers. Mon sac à dos, oui, mais je l’oublie, il est presque vide, je le déposerais là au bord de la route et ne perdrais au fond que mes palmes.
Je m’en fous.

Je marche léger sur ma planète, sous le soleil, un autre pays devant moi, et la route s’appelle aventure.
Je vis pleinement. Vraiment. Profondément.

Je respire à pleins poumons l’odeur du macadam brûlant, je goûte ma sueur salée au coin des lèvres, je plisse les yeux sous l’aveuglant midi, et mon âme m’accompagne en volant autour de moi comme un faucon apprivoisé.
Je sens les muscles de mes mollets et de mes cuisses se délier dans la calme résolution du corps qui fait ce qu’il sait faire.

Je suis heureux parce que tout est possible. Et tout est possible parce que je n’ai aucun désir qui circonscrive mon élan. Rien au programme, l’écran est blanc.

Je vois tout puisque je ne regarde rien.

Je possède tout puisque je ne garde rien.

Je suis plus riche en ce moment que je ne le serai jamais, et je savoure l’instant parce que je sais qu’il me manquera plus tard, quand j’aurai accepté une fois encore l’idée qu’il doive être passager.

Il ne suffirait pourtant que d’une fraction de seconde pour qu’il en soit autrement.
L’espace d’une décision.
L’espace d’un changement de point de vue, d’un exercice de libre-arbitre.
Décider maintenant de tout foutre en l’air et de me casser.
Décider maintenant d’appliquer la seule vraie loi : vivre sans limiter l’être.

Je n’ai jamais vu le Belize. J’y étais presque, une fois... Mais je connais les routes multicolores du Guatemala, l’odeur de maïs du Salvador, les moustiques et la dengue du Honduras, les coraux des Iles de la Bahia.
J’ai joué au frisbee à Antigua, me suis baigné dans les eaux mauves d’Atitlan, me suis perdu dans le marché de Chichi, j’ai coursé en chicken bus dans San Salvador.

Et de l’Amérique chaude mon esprit part vers les montagnes d’Europe, les Highlands d’Écosse, les collines de Toscane...



-‘’AMIGO!!!’’

Une camionnette collectivo vient de passer, remplie de mexicains hilares, traînant des parfums de fruits. Le cri du racoleur de clients m’a fait sursauter, me tirant de mes rêveries de globe-trotter.

Je lui fais signe que non, je préfère marcher, et lit sur son visage avant qu’il ne s’éloigne que je suis un touriste loco!

Et il a raison! Voilà que je n’étais déjà plus ici, mon esprit chevauchant le balancier du temps, entre la douceur des souvenirs et le goût de l’avenir.

Je souris dans ma barbe.

Il fait chaud, humide, le ciel est bleu mur à mur, et mes bottes font le métronome sur l’asphalte brûlant.



Je marche heureux sur une route du Mexique.

4 commentaires:

Anonyme a dit...

Saint Simonack...ça vous donne le goût de voyager ça monsieur !!!
J'adore te lire.

Nathalie C. a dit...

C'est comme si j'étais là avec toi!
Attends! J'ÉTAIS là, avec toi!!
Mais comme toi, dans mon monde à moi, au rythme du métronome de mes pas....
Wow, merci d'avoir immortalisé ce moment!

Henri Lessard a dit...

«Je respire profondément, librement, et autant que de l’air, c’est d’un bonheur tranquille et complet que je me remplis. [...] Je suis plus riche en ce moment que je ne le serai jamais, et je savoure l’instant parce que je sais qu’il me manquera plus tard, quand j’aurai accepté une fois encore l’idée qu’il doive être passager.»

Pourquoi tu écris des phrases comme ça ? Pour nous faire buter contre le mur invisible (et contondant) qui circonscrit la condition humaine ? Comme si on ne s'était pas déjà fait assez de bosses à se péter le front dessus !

Je te pardonne parce que c'est bien dit. ;)

Jean-Louis Courteau a dit...

Je l'ferai pu, promis!.................
....................
....(son de criquet).......